El Camino de Santiago (2021)

Pourquoi tu fais le "camino" (le chemin de Compostelle) ? 

 

Tout le monde n'y répond pas, mais c'est certainement l'une des questions qui revient le plus entre nous (les pèlerins) ... Il y a ceux qui sont là pour le challenge physique, d'autres pour la religion. Certains se posent des questions, d'autres cherchent des réponses. Mais il y a aussi beaucoup d'histoires touchantes… À l'image de B dont la fille de 18 ans est décédée d'un cancer foudroyant, celle de C qui réalise le rêve de sa sœur atteinte de la maladie de Charcot. Ou encore R, un hollandais de 70 ans passés qui transporte dans son sac les cendres de sa femme, pour les disséminer à Muxia selon sa volonté… 

 

Mon histoire n'a (heureusement) rien d'aussi dramatique, puisque je suis arrivée sur le camino par hasard… En Juin j'ai lu un livre écrit par un certain Bernard Ollivier, qui une fois à la retraite a fait une grave dépression. Il s'en est sorti grâce à la marche, sur la route de la soie notamment puis sur le chemin de Compostelle. Ayant trouvé dans la marche un formidable échappatoire, il a créé une association (Seuil), qui offre à des jeunes délinquants la possibilité de faire le camino en alternative à la prison. Un moyen pour ces gamins perdus de réfléchir à leur vie… J'ai trouvé l'idée géniale et me suis dit que j'aimerais beaucoup accompagner un jeune. Mais avant de prendre cette responsabilité, il me fallait déjà réfléchir à ma propre vie...

 

Mardi 7 Septembre 2021 - Jour 0

Auberge Municipale 12 euros

 

Arrivée à Saint Jean Pieds de Port par le TGV Paris - Bayonne, puis par le TER. C'est une bien jolie ville lovée au cœur des Pyrénées, toute en pierre. Elle est traversée par une rivière et dominée par une citadelle. Il règne une atmosphère particulière… Tous les marcheurs passent par la case "Bureau des pèlerins" ou l'on reçoit sa crédentiale (le passeport du pèlerin, il sera ensuite tamponné dans chacune des auberges). On peut récupérer une coquille St Jacques contre donation et glaner toutes les infos nécessaires (liste des hébergements, distances, etc). Bien décidée à aller à la messe avant de partir, le prêtre bénit ma route vers Santiago comme celle de tous les pèlerins. Je fais un repérage du départ de la route, car j'ai prévu de partir de nuit. Dîner rapide et coucher de bonne heure. L'excitation règne dans l'auberge !  

 

Jour 1 : Saint Jean Pieds de Port - Roncesvalles (24,2 km) 

Albergue de peregrinos de Roncesvalles 14 euros

 

Départ à 6h40. Cette étape est réputée être la plus belle, mais aussi et surtout la plus difficile du "camino frances". Beaucoup de pèlerins l'évitent en commençant de Roncesvalles. Et je comprends pourquoi : 8 km de dénivelé positif pour traverser la frontière espagnole par les Pyrénées et le col de Lepoeder (1430 m). Ça grimpe dur ! Je partage la première heure avec Christian, un italien bouddhiste qui marche depuis Lourdes. Alors que nous étions dans la brume, Dame Nature nous offre son plus beau lever de soleil, au-dessus des nuages. C'est à couper le souffle ! Il y a du monde, des groupes commencent à se former. Je préfère marcher seule, même si j'échange quelques mots et kilomètres avec d'autres pèlerins. Chevaux en liberté, moutons à grosse laine, panoramas d'exception… On ne m'avait pas menti. C'est splendide !! Ce spectacle me donne des ailes, et j'avance à bonne allure. Arrivée au col, je fais la rencontre de Brigitte, 78 ans, qui a déjà fait la traversée plusieurs fois. Elle semble pourtant si frêle… Je comprends que c'est la première fois qu'elle le fait sans son mari, il y a sur ce chemin une énergie si particulière… Après 7h de marche, j'arrive enfin à la collégiale de Roncevaux, gérée par des bénévoles hollandais. Une immense auberge de près de 200 lits ! J'y retrouve Christian et Giaco, deux italiens avec qui nous nous suivrons pendant un certain temps. 

 

Jour 2 : Roncesvalles - Zubiri (21,4 km) 

Albergue Zaldiko 14 euros

 

Dès 6h du matin, les hauts parleurs émettent des chants de moines… Réveil dans le thème du pèlerinage ! Petit déjeuner rapide et départ de nuit, seule. J'adore !! Le jour se lève, une brume épaisse m'entoure, c'est un sentiment de liberté intense qui m'accompagne pour les premiers kilomètres de ce deuxième jour. Les panoramas exceptionnels de la veille laissent cependant place à un sous-bois plutôt ennuyeux. Beaucoup de marche sur bitume. Si je n'avais aucune douleur hier, elles commencent à se faire sentir aujourd'hui. Les épaules surtout. À l'arrivée à Zubiri, je retrouve "mes 3 italiens" : Christian, Giacomo et Mateo. Nous nous installons à côté de la rivière et serons bientôt rejoints par quasi tous les pèlerins qui font étape dans cette petite ville. Pilar (une Argentine qui marche avec sa sœur et ses parents) joue de la guitare et nous l'accompagnons en chantant. Quelle merveilleuse soirée ! Nous sommes une vingtaine : de toute l'Europe, d'Amérique Centrale et du Sud, des US… De tous les horizons et de tous âges. Un vrai moment de partage comme je les aime. 

 

Jour 3 : Zubiri - Pamplona (20,4 km) 

Albergue Jesus y Maria 10 euros

 

J'ouvre les yeux à 5h30. Le lit de Giaco est vide, ils sont donc déjà partis. Puisque je suis réveillée, je décide de me lever. Petit dej rapide et je prends la route. Il fait nuit noire, j'éclaire le chemin à l'aide de la torche de mon téléphone. Après seulement quelques minutes, je tombe sur une immense usine dont le bruit et la lumière dans la brume du matin donnent un sentiment vraiment apocalyptique. Je marche plus d'une heure sans croiser aucun pèlerin, à se demander si je suis sur la bonne route… Le soleil se lève, mais le ciel est nuageux. La route alterne entre sous-bois, rivière, grandes plaines… C'est plus sympa qu'hier. Je rattrape Giaco et Mateo qui a mal à la jambe. Il fera finalement le reste de la route en stop, et restera sur place 5 jours pour soigner un début de périostite. L'entrée dans Pampelune, capitale de Navarre, se fait sentir : je traverse la banlieue pendant près de 2h. Autant de goudron me fait mal aux pieds !! Enfin arrivée, je m'installe dans une magnifique église transformée en auberge de plus de 100 lits. Je visite l'arène de taureaux de Pampelune, impressionnante. Elle doit l'être encore davantage lors des fêtes de San Fermin et ses célèbres férias. Ce soir, nous fêtons les 30 ans de Mateo, encore un vrai moment de bonheur. 

 

Jour 4 : Pamplona - Punta la reina (23,9 km) 

Albergue de Los Padres Reperadores 7 euros

 

Grasse matinée : Grosse erreur ! C'est une autoroute de pèlerins ce matin… À la file indienne au départ de Pampelune à 8h. Tout ce que je déteste (et encore, il parait qu'il y en avait le triple avant la Covid !). Heureusement je marche vite et les dépasse au fur et à mesure. Nous traversons des champs de céréales à perte de vue, c'est très joli. Il fait une chaleur harassante et je m'arrose à chaque fois que je remplis ma gourde aux nombreuses fontaines croisées. Mais rien n'y fait, je sèche aussi vite. Je traverse de jolis villages où les locaux répondent à mes sourires par un "buen camino !" (traduit littéralement par "bon chemin" !). Un couple de petits vieux fait sécher des amandes devant leur maison. Intriguée, je passe la tête par la porte et on échange pendant quelques minutes. Je repars avec les poches pleines. Je fais aujourd'hui halte à Punta la Reina, jolie bourgade. C'est la fête ce soir, il y a un concert de musique traditionnelle sur la Plaza Mayor.

 

Jour 5 : Punta la reina - Estella (21,6 km) 

Albergue de la fundacion Anfas 8 euros

 

Départ à la fraîche. C'est fou comme les paysages changent à mesure que l'on marche… Aujourd'hui ce sont les oliviers et les vignes. Il fait toujours aussi chaud, alors je cavale. Un petit papi m'offre une pêche tandis que je traverse le village de Lorca, une attention délicieusement touchante ! J'avale les kilomètres en touchant 2 mots aux pèlerins que je croise, mais la plupart sont partis plus tard. Donc j'alterne entre silence et musique lorsque mon rythme ralentit. Sur la route, certains marcheurs ont écrit des phrases d'encouragement : "you are loved", "tu vas y arriver", etc. J'arrive à Estella avant midi avec les pieds endoloris. Demain, je prendrai davantage mon temps ! L'auberge n'ouvrant qu'à midi, je fais mes étirements sur le trottoir. Cette auberge est spéciale, en partie gérée par des personnes ayant un retard mental. Ana, avec qui le courant passe particulièrement bien, me fait un câlin d'une profonde tendresse au moment d'aller se coucher. Mon cœur fond…  

 

Jour 6 : Estella - Sansol (28,1 km) 

Albergue Karma 6 euros 

 

Départ à 7h pour une petite heure de marche. On se retrouve tous à la fameuse fontaine à vin d'Irache, bien connue sur le camino. "Si vous souhaitez arriver à Santiago avec force et vitalité, de ce grand vin vous devez prendre un verre et trinquer à la félicité" mentionne l'écriteau. Les pèlerins d'antan buvaient dans leur coquille Saint Jacques… Ce "petit rouge" bien matinal ne nous casse pas les jambes, au contraire, et nous avalons les kilomètres à travers des champs de plus en plus secs. Peu de villages, mais des oliviers, des mûriers sauvages et des vignes dans lesquels je pioche allègrement… Le problème des mûres, c'est que pour 5 min de régal, tu en as pour 5h de grains dans les dents ! Ce soir Pilar l'argentine, mes 3 italiens et moi avons réservé une chambre dans une toute petite auberge. Nous occupons l'une des deux seules chambres, et Pilar ravie la maison entière de ses talents de guitariste. Notre hôte a préparé un super dîner que nous prenons dans une belle salle voûtée. 

 

Jour 7 : Sansol - Logroño (20,8 km) 

Albergue parroquial Santiago El Réal (Donativo) 

 

Nous partons tous les cinq dès l'aube. La nature est de plus en plus aride : la terre est rouge grès, les arbustes ne dépassent pas 1 mètre… Le soleil se lève à l'horizon. J'adore. Mais j'ai mal aux tendons derrière les genoux… Heureusement, on ne fait que 20 km aujourd'hui. Je marche les 2 dernières heures avec Carlson, un américain de près de 2 mètres de haut avec qui on discute de la différence entre les États-Unis et l'Europe. Il a l'impression d'avoir voyagé dans le temps tant le patrimoine culturel est ancien. Arrivés à Logroño, nous sommes accueillis par la paroisse de l'église Santiago El Réal. Nous y passons un agréable moment, entre messe, où chaque pèlerin lit une prière dans sa langue natale, chants et dîner collectif avant une nuit bien méritée. Le tout en donation.

 

Jour 8 : Logroño - Ventosa (19 km) 

Albergue San Saturnino 12 euros

 

Je quitte la ville alors que les gens vont au boulot, encore endormis. Le camino contourne un immense lac où cygnes et canards se prélassent, tandis que des écureuils peu farouches viennent littéralement à mes pieds. Ils sont certainement nourris par les pèlerins de passage… Le chemin suit ensuite l'autoroute sur plus de 10 km, ce qui n'est pas très agréable. Je traverse la ville de Navarette où des locaux font cuire des poivrons dans des bidons transformés en barbecues de fortune. J'ai décidé de faire étape à Ventosa pour reposer mes jambes douloureuses. Une bonne douche et un coucher de bonne heure. Demain, 31 km m'attendent ! 

 

Jour 9 : Ventosa - Santo Domingo de la Calzada (30,7 km) 

Albergue de la Cofradia del Santo 11 euros

 

Départ à 6h45, nuit noire. Je marche plus d'1h à la lumière de mon téléphone. Les vignes alternent avec les cultures, de blé notamment. Je marche toujours seule, mais discute avec les pèlerins que je croise, ce qui fait que je suis reconnue de tous ! Beaucoup d'entre eux boitent, et je devine des ampoules sanguinolentes… Les pauvres ! J'ai mal aux jambes et aux pieds, tous les jours de nouvelles douleurs apparaissent tandis que d'autres disparaissent, mais toujours aucune ampoule ! Nous traversons des villages qui semblent abandonnés, pauvres, fantômes. On est pourtant en plein cœur de la Rioja, région renommée pour son industrie vinicole. J'arrive à Santo Domingo en un temps record, mais les pieds en feu ! Grande auberge moderne, propre et très bien entretenue. Paco, un habitué du camino, propose de percer les ampoules de mes camarades. Ce soir notre chambre se transforme en infirmerie pour boiteux ! 

 

Jour 10 : Santo Domingo de la Calzada - Belorado (22 km) 

Albergue parroquial de Belorado (Donativo) 

 

Il fait froid ce matin, j'expire de la buée. Magnifique levé de soleil sur les champs de blé et de tournesols. Aujourd'hui le chemin longe l'autoroute, ce qui n'est pas des plus agréable. Mais le ciel est d'un bleu parfait et le soleil cogne ! Voilà 2 jours que je marche sans musique, pour laisser libre cours à mes pensées… Du coup je me surprends parfois à parler seule, chanter, siffler. Arrivée à Belorado, je pose mon sac dans l'auberge paroissiale (en donation), et pars explorer la ville. Les façades sont décrépies, les magasins fermés, des appartements à vendre par dizaine… Cette ville me laisse une drôle d'impression. Avant de dîner, j'assiste à la messe et reçois la bénédiction du prêtre. Je reste dans la salle commune toute la soirée à discuter avec Rosa et Uli, les 2 hôtes bénévoles de l'auberge. Ayant fait le camino plusieurs années consécutives, ils ont maintenant envie de rendre la pareille en donnant de leur temps. Ils sont adorables et me donnent un bâton de marche qui traîne là depuis des mois, pour remplacer celui que j'ai perdu la veille. 

 

Jour 11 : Belorado - Atapuerca (30 km) 

Albergue El Pelegrino 10 euros

 

Départ sous une bruine qui m'accompagne pendant plus de 4h. Il fait à peine plus de 10 degrés, autant dire que je n'ai pas chaud avec mon petit short. Vers 10h, je trouve refuge dans un café ou je rejoins Min (coréen) et Laura (Argentine), on prend le petit déjeuner ensemble. Nous quittons les champs pour traverser une grande forêt, c'est plat sur des kilomètres et des kilomètres… Mes pieds sont en feu !! Contre toute attente, je suis beaucoup plus à l'aise dans les montées, elles me font moins mal aux jambes. À mi-chemin, un espagnol a installé une table et des bancs taillés dans des troncs. Il propose thé, café et nourriture contre une donation. Il m'accueille avec une tranche de pastèque bien juteuse que je déguste tout sourire en poursuivant mon chemin. Tout le long du trajet, je croise des visages familiers et l'on s'interpelle ici et là, en français, anglais ou espagnol. "Eh Alice ! Ça va ?" c'est plutôt très sympa, et je crains de ne pas retrouver cette ambiance, car j'ai prévu de rester 2 nuits dans la prochaine grande ville. Les copains ont réservé un appartement sur Airbnb pour 15 d'entre nous, afin de reposer nos corps douloureux. Pour l'heure le soleil est revenu et j'arrive enfin dans mon auberge après 30 km parcourus. Je partage la chambre avec deux français de l'âge de mes parents, très sympas.

 

Jour 12 : Atapuerca - Burgos (19,7 km) 

Airbnb 36,50 euros pour 2 nuits

 

Moi qui voulais m'accorder une grâce mâtinée, il y a un boucan d'enfer dès 5h30 ! Je ne me lève qu'à 7h30, frigorifiée. Il fait 5 degrés dehors !!! C'est la première fois que je mets un legging sous mon short. Heureusement le soleil se lève, et me réchauffe plutôt rapidement. Une dizaine de kilomètres parcourus à travers champs, puis les dix autres se font dans la zone industrielle de Burgos. Pas super dépaysant, mais ça me permet de déjeuner au Macdo. J'entends déjà les remarques de mon père, mais peu importe, c'était certainement le meilleur burger de ma vie ! Ahah. Il ne me reste plus qu'une petite heure de marche et je rejoins la Plaza mayor où nous avons loué l'appartement. 5 chambres, 3 salles de bain, des copains, de la musique… que demander de plus ! Nous passons une belle soirée tous ensemble au restaurant puis retournons à l'appartement. Se succèdent les pèlerins croisés sur la route pour nous dire au revoir, car ils ne restent qu'une nuit. "Buen camino" ! 

 

Jour 13 : Burgos

 

L'appartement ressemble à la chambre d'un ado tant c'est le bazar. Ma première mission de la journée : Décathlon ! Il faut absolument que je m'achète une doudoune (35 euros, ultra légère, parfaite). Je déjeune ensuite au soleil, assise sur un banc, avant de visiter Burgos. Sa cathédrale inscrite à l'Unesco, ses ruelles où locaux et pèlerins mangent des tapas en buvant de la cerveza… Je m'offre également le luxe d'un massage (1h30, 50 euros +34 692 98 70 24) : exceptionnel. Cristina Alonso s'attarde de longs moments sur mes muscles endoloris et mes nerfs noués. De retour à l'appartement, détendue, je profite d'une soirée seule "comme à la maison" avec un plateau télé. Demain je reprends la route, cette pause aura été très bénéfique. Mais le camino me manque, il est temps ! 

 

Jour 14 : Burgos - Hornillos del Camino (21 km) 

Albergue Municipal 10 euros

 

Et même plus que bénéfique ! Je suis requinquée et attaque ce treizième jour de marche en pleine forme. Au chaud dans ma doudoune, de la musique dans les oreilles. Je m'étais lancée le défi de ne pas en écouter sur 100 kms (difficile, mais réussi) pour laisser libre cours à mes pensées. Eh bien contre toute attente, ça n'a pas mieux fonctionné. Je quitte Burgos et rentre peu à peu dans la "Meseta", ce désert qui s'étend sur 180 kms jusqu'à la prochaine grande ville. C'est un plateau à 900 mètres au-dessus du niveau de la mer, connu pour sa chaleur estivale et ses hivers rigoureux. Beaucoup de pèlerins font l'impasse en prenant un bus pour rejoindre Léon (j'y serai dans 8 jours), et c'est pour mon plus grand plaisir ! Je croise peu de gens et les paysages me ravissent. Des champs de céréales à perte de vue, des éoliennes partout (il souffle un vent glacial !!), des rapaces tournoient dans le ciel… Et je marche, je chante, je danse. C'est sans hésiter mon jour de marche préféré après SJPP - Roncesvalles (jour 1). Les 21 kms me paraissent engloutis en un rien de temps et je pose mon sac à Hornillos del Camino, un village fantôme aux maisons de pierre jaunes. L'auberge municipale n'en est pas moins chaleureuse, et je rencontre avec plaisir de nouveaux pèlerins. À 18h, l'église est remplie et nous chantons encore une fois tous dans notre langue natale. Le prêtre est un vrai ténor et rend le moment plutôt agréable. Je finis la soirée dans le seul restaurant du village, une guitare est en libre accès pour qui sait en jouer. Un vrai moment convivial comme on en trouve sur le camino, la vie est belle ! 

 

Jour 15 : Hornillos del Camino - Puente Fitero (29 km) 

Albergue de San Nicolas (Donativo) 

 

Dernière couchée et première levée. Même si j'adore dormir, je ne suis pas là pour ça. Je quitte le village à 7h, à la lumière de ma lampe torche. Devant moi une magnifique lune pleine, et derrière moi le lever du soleil. Très peu de pèlerins croisés, des champs de céréales à l'horizon, toujours autant que d'éoliennes. Les rares villages traversés sont désertiques. Si le camino ne passait pas par là, ils seraient très certainement abandonnés. Heureusement les pèlerins doivent se restaurer et dormir, faisant vivre ces bourgades reculées. Je passe par les ruines de San Anton. C'est un endroit incroyable, aujourd'hui utilisé comme refuge. Il n'y a même pas l'eau courante. C'est dans le refuge de San Nicolas que je décide de passer ma nuit, après plus de 7h de marche (j'ai ralenti la cadence depuis Burgos et prends beaucoup plus mon temps). Cette bâtisse du 12ᵉ siècle a été magnifiquement réhabilitée par une confrérie italienne il y a moins de 30 ans. Pas d'électricité, une grande table pouvant accueillir jusqu'à 30 personnes et quelques lits superposés dans un coin. Les bénévoles italiens nous lavent les pieds autour du modeste autel, comme Jésus le faisait pour ses disciples. Nous dînons ensuite tous ensembles d'un plat de pâtes siciliens, arrosé de vin rouge. Éclairés par des bougies, nous sommes plongés des siècles en arrière. Le moment est vraiment exceptionnel, et nous finissons la soirée en chantant. 

 

Jour 16 : Puente Fitero - Fromista (15,7 km) 

Albergue Luz de Fromista 11 euros 

 

Comme convenu, aucun de nous n'a réglé d'alarme ce matin. À 7h30, Mateo, l'un des bénévoles, allume des chandelles et lance des chants de moines sur une enceinte. Les voix mélodieuses font échos sur les voûtes de l'église tandis que les flammes des bougies renvoient des ombres dansantes sur les murs de pierre. Incroyable réveil ! Nous petit déjeunons tous ensemble avant de faire une prière censée bénir notre route. Puis chacun reprend son chemin, la tête et le ventre plein. Petite journée pour moi aujourd'hui puisque j'ai à peine plus de 15 kms à parcourir. Même en prenant mon temps, j'arrive à Fromista avant l'ouverture de l'auberge. Qu'à cela ne tienne, j'en profite pour visiter la ville et retourne à l'écluse du canal de Castilla, à l'entrée de la ville. Puis je me perds dans les ruelles, admire les façades… bref, je fais le tour en 1h tellement c'est petit. Je termine la soirée avec deux espagnols cinquantenaires à boire du vin, ce qui me convainc de me replonger dans mes bouquins du lycée ! 

 

Jour 17 : Fromista - Carrión de los Condes (18,8 km) 

Albergue Eclesial Esperitu Santo 10 euros

 

Au moment de partir, un gros orage m'arrête. Il pleut des cordes et le tonnerre gronde. Le tenancier de l'auberge annonce que ça devrait s'arrêter d'ici à une trentaine de minutes. Il dit vrai ! Je prends donc la route sans pluie, alors que les pèlerins croisés sont trempés jusqu'aux os. À mi-chemin, je fais étape dans une auberge pour mon café quotidien, tandis qu'il se remet à pleuvoir. J'arrive finalement à destination en début d'après-midi, sans avoir été trop mouillée. J'apprendrais en discutant avec les autres marcheurs que certains se sont pris l'orage de plein fouet, au point de s'allonger au sol pour ne pas être frappés par la foudre… La route aujourd'hui n'avait rien d'intéressant, car nous avons longé la nationale sur 18 km. Heureusement, Carrión de los Condes est une jolie ville où il fait bon vivre. Je loge ce soir dans un ancien couvent tenu par des sœurs et discute un long moment avec elles. Je retrouve ensuite certains visages que je pensais bien loin devant et passe une agréable soirée en très bonne compagnie. 

 

Jour 18 : Carrión de los Condes - Ledigos (23,4 km) 

Albergue El Palomar 8 euros

 

Je suis la bonne dernière à attaquer la "route de l'enfer". C'est comme ça que j'ai surnommé cette ligne droite de 17,2 km à travers la plaine. Une broutille en voiture, mais à pied cela représente 3h à 4h de marche… Sans village, sans âme qui vive, sans RIEN ! Si au moins les paysages étaient beaux… Mais non, il bruine tout du long, nous obligeant à marcher tête baissée. Je n'en peux plus de regarder mes pieds. Moi qui adore les étendues désertiques, je commence à trouver le temps long… Les jolis paysages des premiers jours dans la meseta sont bien loin, et j'ai hâte d'être émerveillée à nouveau. Arrivée à Ledigos, je découvre une "auberge" sombre, vieillotte et pas très propre… Il faut traverser le bar pour y accéder, où je suis dévisagée par tous les paysans du coin. Comme souvent je suis la première et espère très fort l'arrivée d'autres pèlerins. Heureusement, c'est le cas ! Ils arrivent les uns après les autres, dégoulinants. Christian mon bouddhiste italien préféré s'installe dans le lit voisin du mien, et nous dînons avec un couple de québécois de l'âge de mes parents. Moment très convivial, nourriture à profusion, le tout largement arrosé de vin rouge "cuvée des pèlerins". Ils me donnent le contact d'une auberge où je pourrais faire du bénévolat à Burgos. L'aventure me tenterait beaucoup ! 

 

Jour 19 : Ledigos - Sahagun (15,8 km) 

Albergue de peregrinos de la Santa Cruz 6 euros

 

Je quitte l'auberge pour m'enfoncer dans un brouillard dense, à couper au couteau. Le soleil me manque ! En route, je fais étape à Moratinos, et découvre ses fameuses "bodegas" : des maisons troglodytes creusées dans la colline pour y stocker denrées alimentaires et tonneaux de vin. Le ciel se découvre et j'arrive à Sahagun par temps clair. Nous sommes censés être à exactement mi-chemin pour Saint Jacques de Compostelle, soit 385 kilomètres parcourus et autant à venir. Ce soir, je fais étape à l'auberge Santa Cruz, un monastère dont une partie a été transformée pour accueillir les pèlerins. Les bénévoles sont très accueillants, et je participe à une séance de discussion autour du chemin de Compostelle. Qui sommes-nous ? Pourquoi sommes-nous là ? Qu'est-ce que le camino nous a apporté jusqu'à présent ? Je connais la plupart des pèlerins présents, mais la discussion n'en reste pas moins intéressante et enrichissante. Nous participons ensuite à une messe (dite à moitié en anglais, une première !), suivie de l'habituelle bénédiction des pèlerins. Pour la première fois depuis mon départ de Saint Jean, j'ai ressenti aujourd'hui un sentiment particulier... Comme une graine qui germait en moi. Même la messe m'a fait du bien (elle me laisse en général plutôt indifférente). Nous dînons ce soir au restaurant. Nous sommes 7 et autant de nationalités différentes : irlandaise, allemande, bulgare, italienne, anglaise, hollandaise et française. C'est toute la beauté du camino ! 

 

Jour 20 : Sahagun - Religios (30,7 km) 

Albergue Gil 10 euros

 

J'ai prévu de marcher 30 km aujourd'hui alors que beaucoup de mes nouveaux compagnons s'arrêteront à mi-chemin. Mais je suis persuadée de les revoir avant Santiago. Il n'y a pas d'au revoir sur le camino, juste des "à bientôt". Le soleil se lève et la graine d'hier semble germer encore davantage. C'est le mot "gratitude" qui me vient instantanément en tête. J'en ai les larmes aux yeux. Difficile à expliquer, mais j'ai le cœur gonflé, rempli de bonheur, de joie, d'amour… J'ai envie de crier au Monde que la vie est belle ! Peut-être sont-ce les 100 km de Meseta que je viens de parcourir, cette ligne droite à perte de vue, ce désert d'âme que beaucoup redoutent car monotone et empreint de solitude. À moi il me fait un bien fou ! Mon cerveau est en ébullition depuis quelques jours, ne cessant de fonctionner. Ce qui n'était qu'un simple challenge il y a 20 jours, est en train de me bouleverser… Ce soir, je retrouve dans mon auberge un couple de français partis de chez eux il y a plus de 2 mois, avec leur fils de 4 ans. Nous dînons avec d'autres pèlerins au bar du coin, moment comme d'habitude très sympathique. 

 

Jour 21 : Religios - Leon (24,4 km) 

Albergue del convento de las carbajalas 14 euros pour 2 nuits

 

Le soleil se lève dans mon dos, comme tous les matins. Chose normale, car nous marchons vers l'ouest. Et comme tous les matins, je suis en extase. Les bornes kilométriques qui longent le camino depuis l'entrée en Castilla y Leon annoncent aujourd'hui moins de 300 km avant l'arrivée à Santiago. J'ai l'impression que c'est déjà fini et ça me fait un pincement au cœur. J'aperçois déjà au loin la ville de Leon, et au-delà les montagnes. Ça annonce l'arrivée en Galice et la fin de la meseta… Je prends de plein fouet l'urbanisation, les véhicules, la foule... Oui, je suis bien arrivée à Leon ! À peine installée dans mon auberge, je tombe nez à nez avec Giaco et mon groupe "du début". Moi qui les pensais déjà partis ! Et à mesure que j'arpente les rues de la ville, j'aperçois d'autres têtes familières que je croyais devant. Comme quoi dans la vie rien n'est jamais perdu… J'aime ce sentiment après les deux derniers jours d'intense réflexion que je viens de passer. Je dîne ce soir avec mes anciens compagnons de route. C'est décidé, je reste ici 2 nuits, afin de visiter la ville et attendre l'arrivée des pèlerins de demain.

 

Jour 22 : Leon

 

Leon est une très belle ville et fut la capitale de la gastronomie espagnole pendant plusieurs années. Il n'est pas rare de voir de belles cuisses de jambon derrière le comptoir des cafés, qui accompagnent bière ou vin en guise de tapas. Je profite de cette journée de pause pour visiter. La cathédrale gothique est sublime, dotée d'un grand nombre de vitraux colorés. C'est incroyable de penser qu'ils étaient capables de construire de tels édifices au 13ᵉ siècle. Je fais aussi des réserves de nourriture et m'achète des gants pour les froides matinées à venir. Les autres pèlerins allègent leurs sacs tandis que j'alourdis le mien ! Ça me fait d'ailleurs bizarre de ne pas l'avoir sur le dos aujourd'hui : j'ai "paniqué" à plusieurs reprises avant de me rappeler qu'il était à l'auberge. Et en parlant de manque… J'ai vraiment hâte de reprendre le camino ! Je croise des marcheurs que je n'avais pas vus depuis Zubiri, soit le deuxième jour ! On se dit au revoir et "à Santiago" ! 

 

Jour 23 : Leon - San Martin Del Camino (24,6 km) 

Albergue de Peregrino de San Martin Del Camino 5 euros

 

Je quitte la ville avec plaisir, pensant retrouver la nature… Quelle erreur ! J'ai pris la route via San Martin Del Camino (route historique et la moins longue) : 4h de zones industrielles, nationales, stations-services, restaurants de routards… Lesquels camionneurs s'amusent à klaxonner en passant à mon niveau. Et le tout sur goudron, me provoquant une vilaine douleur au muscle tibial. Heureusement, je retrouve un semblant de verdure sur la dernière heure de marche. Mais alors, pourquoi ai-je préféré cet itinéraire à l'autre route, certes un peu plus longue, mais aussi réputée plus jolie ? La question me taraude jusqu'à l'arrivée, mais je sais que "rien n'arrive par hasard". Et la raison m'attend à l'auberge municipale : mon ami R, avec qui nous avons commencé le même jour de Saint Jean, et qui devait nettement ralentir la cadence. Je l'écoute évoquer les souvenirs de sa femme, de leur rencontre à son attachement pour le chemin et comprends mieux pourquoi elle souhaitait ses cendres disséminées dans l'océan Atlantique à la fin du camino. Nous dînons ensuite avec deux pèlerins français, dont Jean-Louis qui a commencé le chemin du Puy-en-Velay il y a 20 ans. Le faisant par section, il espère arriver à Santiago cette année.

 

Jour 24 : San Martin Del Camino - Astorga (23,7 km) 

Albergue de peregrinos Siervas de Maria 7 euros

 

Superbe lever de soleil, comme la plupart de mes débuts de marche. J'aperçois aussi un sanglier filer entre deux champs de maïs. Je longe la route (comme depuis déjà 5 jours), mais bifurque soudainement vers de très beaux paysages : terre ocre rouge, champs cultivés, terrains vallonnés, fermes de bétail, ça y est nous avons définitivement quitté la meseta ! Et je dois avouer qu'un changement de paysage n'est pas pour me déplaire. Nous traversons de jolis villages en pierre, et l'arrivée à Astorga est mémorable. Construite sur une colline et entourée d'une belle muraille, cette ville de moins de 15 000 habitants est pleine de charme. Riche de vestiges archéologiques romains, elle est dotée d'une cathédrale construite au 15ᵉ siècle (une tour a été reconstruite suite au tremblement de terre de Lisbonne) et d'un palais épiscopal construit par l'architecte Antoni Gaudi. J'arpente et me perds avec plaisir dans les ruelles. 

 

Jour 25 : Astorga - Foncebadon (25,8 km) 

Albergue parroquial Domus Dei (Donativo) 

 

J'assiste à mon plus beau lever de soleil depuis le début du camino. Le ciel est rose, jaune, pourpre, bleu, orange… C'est splendide ! Nous commençons vite à grimper, dès la sortie d'Astorga. Je retrouve les paysages des premiers jours dans les Pyrénées : vaches, chèvres, chevaux, bouses, chemins caillouteux… Et marche sur de magnifiques ardoises roses, bleues, argentées. La plupart des pèlerins s'allègent, tandis que je m'alourdis en ramassant des pierres. Mais elles viendront compléter ma belle collection ! Ce soir, nous passons la nuit à Foncebadon, à plus de 1400 mètres d'altitude. Les paysages sont beaux, mais il fait froid ! Sans chauffage, l'auberge où je m'établis pour la nuit est glaciale. Alors que je suis confortablement installée dans mon lit avec toutes les couches d'habits possibles (il n'y a pas de couvertures), une énorme araignée surgit sur le mur. Je fais un bond hors de mon lit et réveille tout le dortoir. Heureusement Alain, un gentil bayonnais sexagénaire, me sauve de cette hideuse tarentule pendant que les autres ricanent. 

 

Jour 26 : Foncebadon - Ponferrada (26,8 km) 

Albergue parroquial San Nicolás de Flue (Donativo) 

 

Il a plu des trombes d'eau de 3h à 7h du matin, et c'est avec un crachin épais que Linda (irlandaise), Bory (bulgare) et moi prenons la route. Nous arrivons à la "cruz de ferro", à 1504 mètres d'altitude, un immense poteau en bois couronné d'une croix en fer. La coutume veut qu'on y dépose une pierre représentant le poids de ses péchés. Le brouillard, la pluie, le vent et le froid nous gèlent les os. Il ne doit pas faire plus de 3 degrés, avec un ressenti en températures négatives. Linda est heureuse de ce temps qui lui rappelle son Irlande natale. Après 3 bonnes heures de marche dans ces conditions extrêmes, le ciel se découvre enfin, nous offrant une magnifique vue sur la vallée. Tous les pèlerins s'arrêtent au village d'El Acebo pour se réchauffer autour d'un café et retirer capes de pluie et autres coupe-vents. Nous poursuivons notre descente (plus de 1000 mètres de dénivelé total) à travers de très beaux villages en pierre et chemins de montagnes escarpés. J'arrive enfin à Ponferrada après 9h de marche, exténuée. Magnifique journée, mais très éprouvante ! 

 

Jour 27 : Ponferrada - Villafranca del Bierzo (24,2 km) 

Albergue de peregrinos de Villafranca del Bierzo 6,50 euros

 

Mon muscle tibial recommence à faire des siennes, et ce dès le début de la journée. Ça n'annonce rien de bon. Nous quittons Ponferrada en passant devant son château fort du 12ᵉ siècle, puis par la banlieue chic. La différence est frappante avec les villages délabrés de la meseta ! Les villes se succèdent aujourd'hui, sans grand intérêt. Beaucoup trop de goudron jusqu'à ce que l'on arrive aux abords de Villafranca. Ici les vignes refont leur apparition, des arbres fruitiers ou je me délecte de mirabelles, prunes et autres figues. La ville est aussi très belle, construite à flanc de colline et traversée par la rivière Burbia. Installée dans l'auberge municipale, je rencontre de plus en plus d'espagnols venus faire les dernières étapes vers Santiago. Il paraît que les 100 derniers kilomètres sont les pires, autant dire que je n'ai pas hâte ! Une bière bue avec mes compagnons de route à la Plaza Mayor, un dîner rapide avec Linda et je suis au lit. Muscle du tibia massé au baume du tigre et anti douleur avalé, en espérant être d'attaque pour demain : une grosse journée de marche en montagne nous attend ! 

 

Jour 28 : Villafranca del Bierzo - Las Herrerias (21,2 km) 

Albergue Las Herrerias 7 euros

 

Linda et moi sommes les dernières à partir, mais elle a mal à la cheville donc s'arrête aussitôt. Je continue ma route seule et m'embarque sur le chemin de la montagne qui est 3 km plus long et surtout plus difficile que la route normale. Les seuls pèlerins-cyclistes croisés sont dotés de vélos électriques. La pente est ardue et mes mollets chauffent. Soudain je tombe sur Luc, un français qui a planté sa tente à flanc de colline. Il m'invite à boire un café, la vue sur la vallée est splendide ! Je reprends la route à travers les conifères. L'arrivée de l'automne est bien là : au sol, des châtaignes par dizaines. La descente est aussi difficile que la montée, je mets finalement près de 3h à faire 10 kilomètres. Ça en valait la peine ! Le reste de la journée se passe bien, mais le camino longe la route nationale ce qui n'est pas palpitant. Ce soir, je fais étape à Las Herrerias, petit village de pierre. L'auberge est jolie. Alors que je prends l'apéritif au bar du coin avec mes amis pèlerins, Georges, bénévole dans mon auberge, arrive. Nous entamons une discussion animée sur les voyages, mon amour pour le stop et le sien pour la montagne. Je lui fais alors part de mon unique regret sur le camino : ne pas avoir pu camper. Et là, tout s'enchaîne… Je me retrouve dans le jardin de l'auberge pour apprendre à monter sa tente. Il a décidé de me la prêter avec sac de couchage allant jusqu'à -10 degrés, matelas de sol et réchaud. Le tout faisant moins de 2 kg, car c'est du matériel de randonnée très léger, et donc aussi très cher ! Il m'accorde une confiance incroyable et me dit qu'on se reverra à Santiago pour les récupérer. Ma bonne étoile est toujours là !! 

 

Jour 29 : Las Herrerias - Alto de Poio (16,6 km) 

Bivouac

 

Quelle journée ! Ce matin je participe au rêve de Linda avec qui nous nous suivons depuis une dizaine de jours. Issue d'un milieu populaire, elle n'a jamais eu la chance de monter à cheval. Il se trouve qu'une section du camino est possible à cheval, et elle en parle depuis que je l'ai rencontrée. La veille, nous avons convenu avec Luc (français) et Jule (allemande) de le faire tous les quatre (30 euros par personne). À 9h nous retrouvons donc notre moniteur Victor et nos quatre montures. Nous parcourons 8 km jusqu'à O Cebreiro, qui se situe à 1350 mètres d'altitude. Les paysages de montagnes sont magnifiques, les petits villages très mignons. Nous sommes les "stars" : tous les autres pèlerins (que nous connaissons forcément pour les avoir croisés maintes fois) nous saluent, prennent des photos et sourient en nous faisant de grands signes. Linda affiche un sourire jusqu'aux oreilles pendant les 2h30 de l'ascension. J'ai hérité du pire cheval : étant en queue de marche, il ne cesse de s'arrêter pour brouter puis trotte pour rattraper le groupe. Je n'ai aucune connaissance en équitation et les autres se marrent, car je pousse des cris. Arrivés à O Cebreiro, nous reprenons la route à pied. Nous sommes maintenant en Galice, région qu'on compare à la Bretagne pour sa météo capricieuse. Mais contre toute attente il n'a jamais fait aussi beau ! Le ciel est d'un bleu éclatant, aucun nuage à l'horizon. Je marche 2h sous un soleil de plomb et m'arrête dans un bar à Alto de Poio pour reprendre mon souffle après une montée à pic. J'y retrouve Bory la bulgare et sommes vite rejoints par Luc et Jule. Le panorama est exceptionnel et nous décidons de rester ici pour la nuit. Apéritif, installation de nos tentes respectives, coucher de soleil sur les montagnes, dîner, et au lit. Le ciel est clouté d'étoiles ! J'ai même la chance de voir des étoiles filantes, c'est absolument magnifique. 

 

Jour 30 : Alto de Poio - Samos (22,5 km) 

Albergue del Monasterio de Samos (Donativo) 

 

J'ai bien dormi malgré l'humidité terrible, les parois de la tente sont trempées. Il s'agit en fait plus d'un tarp que d'une vraie tente, pour camper en été et par temps sec. Heureusement le sac de couchage est génial et je n'ai pas eu froid, même en short. Nous assistons à un superbe lever de soleil sur les montagnes (nous sommes toujours à 1350 mètres), ce qui permet de sécher un peu nos maisons de toile. Je reprends la route vers 9h pour environ 7h de marche. Aujourd'hui 2 choix s'offrent aux pèlerins : par Samos ou par San Xil. On m'a vivement conseillé de passer par Samos même si ce chemin est 7 km plus long. Et je ne suis pas déçue ! Toute la journée, je traverse la rase campagne, de mignons petits villages où la bouse de vache est reine, des odeurs de terroir, des vieux paysans dans leurs champs. C'est vraiment dépaysant. Je me retrouve tout de même bloquée dans un embouteillage… un troupeau de vaches ! Que je suis pendant 15 bonnes minutes, avant qu'elles ne rentrent dans leur étable. Arrivée à Samos je découvre le magnifique monastère datant du 6ᵉ siècle. J'assiste à la messe dans sa très belle église, où prêtres et moines marmonnent, chantent et agitent l'encensoir comme s'ils n'avaient aucuns spectateurs. C'est le plus atypique des offices auquel j'ai participé depuis mon départ. Je me couche ce soir dans le "Donativo" aux belles voûtes peintes. 

 

Jour 31 : Samos - Mercadoiro (31,8 km) 

Albergue de Mercadoiro (Bivouac) 

 

Réveillée de très bonne heure, je décide de prendre la route de nuit et à la fraîche. Ça fait longtemps, et je pense parcourir plus de 30 km aujourd'hui. Le clocher du monastère sonne 7 coups. Mais après plus d'1h30 de marche dans les bois sans croiser âme qui vive, je me rappelle pourquoi je me refuse à regarder des films d'horreur ! Il est loin le temps où j'avais installé ma tente dans la forêt australienne pendant plusieurs semaines… Serais-je en train de m'assagir ? Quoi qu'il en soit, j'avance. Vaches, bouses, vaches, bouses… Si marcher du pied gauche dans la bouse de vache porte-bonheur, alors je suis bénie pour les 10 ans à venir ! L'épais brouillard matinal a laissé place au cagnard de la veille, il fait plus de 30 degrés au soleil. Je traverse la ville de Sarria, bien connue des pèlerins pour représenter les 100 derniers kilomètres avant Santiago. On en entend parler depuis Saint Jean Pieds de Port (jour 1), car beaucoup d'espagnols commencent de cette ville. En effet, si tu arrives à Santiago en ayant marché 100 km minimum, tu reçois la "Compostela", un diplôme du pèlerin. Ils en sont apparemment friands ! À force de m'arrêter à droite et à gauche, pour discuter avec de nouveaux marcheurs, boire un café avec d'anciens… Je n'arrive à Mercadoiro qu'à 18h. Parfait pour une bière bien fraîche, avec Linda qui a pris un bus depuis Ferreira car elle a mal à la cheville. L'auberge est presque luxueuse : musique classique, jolie terrasse, pelouse rase… Il n'y a plus de lits disponibles, mais le propriétaire me propose de planter la tente dans le magnifique jardin, face au coucher de soleil.

 

Jour 32 : Mercadoiro - Palas de Rei (30,1 km) 

Albergue Outeiro 10 euros

 

Qui dit auberge de luxe dit… arrosage automatique ! Je suis réveillée à 5h du matin par les jets sur la tente, que je reconnais immédiatement pour les avoir subis de nombreuses fois lors de mes bivouacs à travers l'Europe. Nous quittons les lieux à la lumière de la lampe frontale de Linda. J'aimerais voir le lever de soleil sur la réserve d'eau de Belesar, à Portomarin, soit à moins de 6 km. Malheureusement le brouillard est aussi épais que la veille, nous offrant un spectacle différent mais joli quand même. Comme hier, le soleil n'arrive que vers midi et la chaleur avec. Je suis d'humeur maussade aujourd'hui… La fin du chemin approche et les questions sur "l'après" s'imposent naturellement. Alors que d'habitude je pouvais m'arrêter à chaque café pour discuter avec des visages familiers, ils sont maintenant remplis d'espagnols portant des baskets neuves, des habits propres et de tout petits sacs. Voilà les "turigrinos" dont on m'avait parlé ! (Comprendre le jeu de mots turistas / pelegrinos ou en français touristes / pèlerins). Ça n'est pas le camino que je connais, ni celui que j'aime tant depuis 32 jours… Heureusement je passe une belle soirée avec un groupe de coréen rencontré quelques jours plus tôt, de quoi raviver mes chers souvenirs d'Asie. 

 

Jour 33 : Palas de Rei - Ribadiso de Baixo (25,4 km) 

Albergue de peregrinos de Ribadiso de Baixo 8 euros

 

Je ne quitte l'auberge qu'à 9h passées, je veux éviter la foule de nouveaux marcheurs. Mais cela semble impossible, ils sont partout ! Linda, Luc, Camille, Alison et leur fils ressentent le même sentiment désagréable. Nous décidons de nous réunir pour le déjeuner : pique-nique à la française dans un parc espagnol. Armel s'amuse dans les jeux pour enfants, son père nous joue quelques notes de ukulélé. Camembert, gruyère, saucisson, jambon, tomates, œufs durs… Ces saveurs familières saupoudrées de rires et bienveillance me font reprendre la route le ventre et le cœur plein. Les turigrinos avec qui j'échange quelques mots sont épatés de savoir que nous avons commencé à marcher en France, soit il y a plus d'un mois... 700 km de souvenirs, que nous évoquons ce soir autour d'un dîner à Ribadiso de Baixo avec Luc et Vanessa (français), Brian (américain) et Yana (belge). Sans l'avoir planifié nous nous suivons depuis presque 3 semaines, et c'est pourtant la première fois que nous dînons tous ensemble. L'ambiance est à la rigolade, pour éviter la nostalgie qui nous envahit depuis Sarria. C'est plutôt rassurant de savoir que je ne suis pas la seule à ressentir cela. 

 

Jour 34 : Ribadiso de Baixo - O Pedrouzo (22,4 km) 

Albergue Outeiro 10 euros

 

Je m'applique à faire mon rituel matinal : massage des muscles tibiaux, tendons d'Achille et voûtes plantaires au baume du tigre. Superbe lever de soleil sur la brume, Dame Nature me régale une fois de plus. Depuis notre arrivée en Galice, un élément architectural a fait son apparition (clin d'œil à mes parents). Appelé "horreo", ce grenier surélevé du sol pour échapper aux prédateurs, sert au stockage des céréales après la récolte, du maïs notamment. Il est présent dans bon nombre de jardins. Les plus anciens construits en vieilles pierres, les plus récents en bois ou en briques, fonctionnent tous de la même manière : les murs laissent passer l'air et la chaleur du soleil. Installée dans un café après 1h30 de marche seulement, je suis rejointe par la bande : Luc, Brian, Yana, etc. Le syndrome de l'arrivée nous affecte tous : "plus tu t'approches de Santiago, plus tu ralentis le rythme". J'ai appris ça hier, et c'est vrai ! Moi qui arrivais toujours avant que les auberges n'ouvrent au début du voyage, c'est plutôt en fin d'après midi dorénavant. Nous faisons durer le plaisir, mais la marche en devient aussi plus longue donc éprouvante… Nous avons fait une pause de 3h pour déjeuner ! Arrivée à l'auberge au soleil couchant, je dîne d'une paella surgelée avant de me mettre au lit. Je suis entourée de turigrinos espagnols qui parlent fort jusqu'à minuit. Elles semblent bien loin les auberges où il n'y avait plus un bruit passé 22h.

 

Jour 35 : O Pedrouzo - Santiago de Compostela (19,4 km) 

Albergue La Credential 30 euros pour 2 nuits 

 

C'est le grand jour ! Celui dont on a parlé pendant tout le voyage sans jamais vraiment l'imaginer arriver, celui qui semble maintenant aussi réel qu'abstrait… Je me réveille sans vraiment réaliser, c'est un jour comme les autres. Je marche vite ce matin et dépasse les turigrinos les uns après les autres. Il faut dire que j'ai plus de 700 km d'échauffement et des mollets qui ont pris du volume, quand ils en sont à leurs premières ampoules. Nous traversons les bois avant de contourner l'aéroport de Santiago. Je m'arrête à San Marcos, à 5 km de l'arrivée, comme convenu avec les copains. Nous voulons faire la dernière heure de marche tous ensemble. Bory la bulgare, Linda bien sûr, et mes français préférés Luc, Camille, Alison et leur petit Armel, 4 ans seulement. Nous formons une ligne et avançons d'un pas assuré. Je ressens un mélange d'excitation et d'appréhension, comme un gamin qui attend le père Noël. Mais on sourit tous. Les dernières flèches jaunes, celles qui nous ont guidées depuis les Pyrénées nous mènent à Santiago. Et soudain on aperçoit le haut de la cathédrale au loin : "elle est là !" s'écrie Luc. On presse le pas inconsciemment, on continue de marcher, un pied devant l'autre, et enfin, on se retrouve devant. Et là… rien… Je ne ressens absolument rien. Quand certains sont en larmes, j'ai la certitude que l'arrivée à l'océan représentera bien plus. La cathédrale de St Jacques de Compostelle n'est pas la fin pour moi, j'ai prévu de continuer de marcher. Mais pour l'heure, nous passons la soirée tous ensemble, heureux : bar, restaurant, discothèque...

 

Jour 36 : Santiago de Compostela

 

… 4h de sommeil, mal au crâne. Mais j'ai à faire ! Ce matin, tous mes nouveaux amis se pressent vers le "pelegrinos office" pour chercher la fameuse Compostela, ou le diplôme du pèlerin. Il s'agit d'un document nominatif, en latin, attestant du nombre de kilomètres parcourus. Les souvenirs étant gravés dans ma tête comme dans mon cœur, je ne ressens pas le besoin d'obtenir un tel papier et décide de faire l'impasse. Je préfère passer un long moment assise devant la cathédrale à observer les pèlerins du jour arriver et tente de capter leurs émotions… Il y a des sourires, des larmes, des cris de joie, des accolades, des séances photos dans des positions abracadabrantesques… Puis toujours le même scénario : après l'euphorie de l'arrivée, le marcheur s'assoit face à la cathédrale et la contemple en silence. Chacun se remémore alors son chemin, les moments de bonheur comme ceux de souffrance, les étapes qui l'ont mené jusque-là. Je pourrais rester des heures à observer, mais nous avons prévu un dernier dîner tous ensemble. La table ne cesse de s'agrandir, nous finissons la soirée à près de 25 pèlerins. Minuit sonne au clocher : après deux jours de fête, il est temps de reprendre la route vers l'océan. Seul Luc et moi la ferons à pied. Certains en bus, d'autres rentrent tout simplement chez eux…  

 

Jour 37 : Santiago de Compostela - Negreira (20,6 km) 

Albergue Alecrin 12 euros

 

7h : j'hésite à couper le réveil et me rendormir, ce séjour à Santiago n'a pas été de tout repos ! Mais non, je me fais violence. La cathédrale est quasi pleine lorsque j'arrive pour la messe de 9h30, et on me demande de laisser mon sac à dos dehors, sans surveillance. Drôle de manière d'accueillir des pèlerins… L'office n'a rien d'exceptionnel puisque personne n'a payé pour le "botafumeiro", cet encensoir en laiton argenté animé par huit hommes. Il paraît qu'il passe à ras du sol à plus de 68 km/h en laissant derrière lui un sillage de fumée d'encens, censé masquer l'odeur nauséabonde des pèlerins d'autrefois. Au 21ᵉ siècle, il s'agit aujourd'hui d'un spectacle coûteux : plus de 500 euros paraît-il. Le passage obligé par la boutique de souvenirs à la sortie de la cathédrale me fait grimacer. Le chemin de Compostelle serait-il devenu un moyen de faire du fric ? Je ne quitte Santiago qu'à 10h passé, laissant derrière moi beaucoup de pèlerins. C'est un nouveau camino que j'entame ce matin et croise très peu de gens. Mes jambes ont du mal à avancer et mon esprit n'est pas là non plus. Les "à bientôt" du début du voyage se sont bels et bien transformés en "aurevoirs", me laissant nostalgique. Je croise par hasard mon groupe de début de marche, l’italien Giaco en tête. Je ne les avais pas vus depuis Leon, soit 15 jours ! Arrivée à Negreira, je m'endors tôt pour recharger mes batteries. 

 

Jour 38 : Negreira - Olveiroa (33,6 km) 

Albergue O Horreo 12 euros

 

J'attaque ce 38e jour avec bonheur, j'ai dormi comme un bébé. C'était nécessaire ! Je retrouve George sur la route, cet adorable américain qui m'avait prêté tente, sac de couchage et matelas. Nous marchons ensemble pendant plus d'1h et retrouvons Luc assis sur son sac. "Je t'attendais" me lâche-t-il en expirant la fumée de sa cigarette. Tous les trois nous arrêtons à A Pena pour un café bien chaud. Le ciel est gris, mais j'ai bon espoir que cela se dégage comme les jours précédents. La campagne est belle, bien verte. Les moissons sont faites, je croise plus de tracteurs que de voitures. Des agriculteurs labourent les champs. Les petites fermes familiales de la montagne ont laissé place à des élevages bovins beaucoup plus importants. Les oiseaux chantent, le ciel est d'un bleu pur. Je déjeune de mon habituel sandwich fromage / salami / tomate, assise au soleil (j'alterne avec des sardines en boîte). Comme la veille, je vois peu de pèlerins. Mais la solitude ne me dérange pas, au contraire. Je pense beaucoup, chante et danse aussi. Je découvre de nouveaux visages, ceux des courageux voulant aller jusqu'au bout. "Demain, l'océan…" 

 

Jour 39 : Olveiroa - Muxia (31,1 km) 

Albergue de peregrinos de Muxia 8 euros

 

Après plus d'1h de marche, je me retrouve face aux deux bornes kilométriques : à gauche Fisterra, à droite Muxia. Chaque pèlerin à le choix aujourd'hui : les deux chemins mènent à l'océan. Mais quelle étape faire en premier ? L'image des pilules rouge et bleue du film Matrix me fait sourire. J'ai conscience qu'il ne s'agit pas ici d'un choix de vie, mais il va tout de même influencer la fin de mon voyage. Je laisse mes pieds décider, c'est eux qui m'ont porté jusque-là. Sans réfléchir donc, je prends à droite. Ce sera Muxia ! Je croise des pèlerins que je connais, qui retournent à Santiago à pied. Après 10 km, il se met à pleuvoir des cordes, même mes sous-vêtements sont trempés. Mais j'ai conscience de la chance inouïe de n'avoir eu que deux matinées de crachin en près de 40 jours et accueille cette intempérie avec sérénité. Et comme je répondais à mes clients à Bornéo (oui le touriste français se plaint d'avoir de la pluie dans un pays tropical) : c'est grâce à la pluie que la jungle est si belle. Ici pas de jungle, mais des fougères, des forêts de pins et de hêtres. J'avance d'un bon pas sous le déluge, puis d'un coup le ciel s'éclaircit. Je retire ma capuche et me fige… "Nan… c'est pas possible… Mais si !" J'aperçois l'océan à travers les pins !! L'immensité… Celle que j'ai eu sous les yeux pendant plus de 3 ans et qui me manque tant depuis mon départ de Bornéo justement. Je fonds en larmes… Et alors enfin, je ressens moi aussi toutes les émotions captées chez les autres devant la cathédrale de Santiago. Enfin, je me remémore les moments spéciaux. Les visages de chaque pèlerin croisé, leurs histoires, leurs blessures, leurs failles… Et là enfin je comprends que personne n'arrive sur le camino "par hasard" comme j'ai pu l'écrire dans l'intro de ce carnet de route. Comment même ai-je pu écrire cela, moi, adepte de l'adage "Rien n'arrive par hasard"? Plus qu'adepte, c'est presque ma devise ! Comme ce 20ᵉ jour dans la meseta, j'ai le cœur qui déborde. Installée à l'auberge municipale avec Luc, nous allons observer le coucher de soleil sur l'océan. Le vent est déchaîné, c'est fort, intense. 

 

Jour 40 : Muxia - Finisterre (27, 8 km) 

Albergue La Espirale 30 euros pour 2 nuits

 

Je longe la mer pour sortir de Muxia. Le cri des mouettes, les vagues caressant les rochers, le soleil qui se lève à l'horizon… C'est mon 40ᵉ réveil, celui qui me mènera "au bout", et sans nul doute le meilleur. Je m'enfonce ensuite dans la forêt, plus en altitude. Elle est splendide : le chemin de terre recouvert d'épines de pin sèches et les fougères brunes de l'automne jurent avec le lierre et la mousse bien verte qui grimpent aux troncs des arbres. C'est féerique, magnifique. Luc m'attend, allongé sur l'herbe, quelques kilomètres avant l'arrivée. Il est parti de Nantes il y a plusieurs mois et commence à fatiguer. Mais ça y est, nous y sommes ! Finisterre… La véritable fin du pèlerinage de Saint Jacques de Compostelle. Alors que 1000 pèlerins arrivent à Santiago chaque jour, seulement 10% d'entre eux marchent jusqu'à l'océan. Et c'est pourtant tellement évident pour moi, pour nous… La ville est jolie, avec son port de pêche et ses ruelles escarpées. Je retrouve Giaco et mon groupe des premiers jours pour une belle soirée. Chacun partage ses meilleurs souvenirs, les yeux dans le vague et le sourire aux lèvres. 

 

Jour 41 : Finisterre (6,4 km) 

 

Je profite d'un long moment sur la plage de Langosteira, à marcher dans le sable, observer mouettes et goélands, penser… La brume est si épaisse qu'on ne voit pas à plus de 100 mètres. Elle accompagne nos derniers kilomètres (6,4 aller-retour) vers le phare de Finisterre, censé représenter la "fin du monde". Luc et moi avons prévu d'y pique-niquer. On entend le bruit des vagues, mais impossible de voir la mer. Ça rend le moment particulier, mystique. Des pèlerins ont abandonné leurs chaussures de marche, chaussettes ou autres bâtons. C'est une boîte de sardines que Luc décide de laisser, elle traîne dans son sac depuis un certain temps. Pour nous qui en avons mangé plus d'une fois, c'est tout à fait symbolique. De retour en ville, nous décidons de nous rendre à Mar de Fora, réputée être une plage de hippies. Il y a en effet plusieurs tentes, certains pèlerins s'y établissent pour des mois. Et là je comprends que c'est bien l'endroit où je dois me trouver pour clôturer ce magnifique périple : l'océan dans toute sa splendeur, sa force. La plage est lovée entre des falaises abruptes où les vagues s'écrasent avec fracas. Les rouleaux se cassent en jets d'écume, je peux sentir leur puissance, entendre leur déferlement dans un grondement entêtant. Le soleil se couche à l'horizon, le dernier de mon camino, je suis comblée.

 

 

Des Pyrénées à l'océan Atlantique, 900 km à pied...

 

Merci à tous les pèlerins que j'ai pu croiser, pour leur bienveillance. Un sourire qui rebooste, un repas partagé, une soirée à chanter… 

Merci aux espagnols pour leurs encouragements. À ceux qui m'ont tendu ici un fruit, là une bouteille d'eau quand je ne demandais rien…  

Merci aux bénévoles des différentes auberges pour leur temps et conseils avisés. De nous permettre de récupérer l'énergie nécessaire, de faire perdurer la tradition… 

Merci à mes pieds d'avoir été irréprochables : zéro ampoule ! 

Merci aux 15 chauffeurs qui m'ont prise en stop de Santiago à Paris (1500 km). De m'avoir fait confiance, de m'avoir écoutée et permis de rentrer à mon rythme…  

 

Merci Merci Merci à la vie d'être aussi belle ! 

 

Moi qui pensais que le camino serait un voyage comme un autre, un nouveau challenge pour l'aventurière que je suis… Il a été, incontestablement, bien plus que cela…